Le cadre juridique international de la lutte contre la déforestation : défis et perspectives

La déforestation massive constitue l’une des crises environnementales les plus préoccupantes du XXIe siècle. Chaque année, environ 10 millions d’hectares de forêts disparaissent, entraînant des conséquences désastreuses pour la biodiversité, le climat et les populations locales. Face à cette situation, le droit international a progressivement développé un arsenal juridique visant à encadrer et limiter ce phénomène. Des conventions-cadres aux accords commerciaux, en passant par les mécanismes de certification et les initiatives régionales, l’encadrement juridique de la déforestation s’est considérablement étoffé ces dernières décennies. Pourtant, malgré cette évolution normative, les forêts continuent de disparaître à un rythme alarmant, soulevant des questions sur l’efficacité et la cohérence du cadre juridique international actuel.

Évolution historique du cadre juridique international de la déforestation

L’émergence d’un cadre juridique international relatif à la protection des forêts s’est faite de manière progressive et fragmentée. Dans les années 1970, la Conférence de Stockholm de 1972 marque une première prise de conscience internationale des enjeux environnementaux, sans toutefois aborder spécifiquement la question forestière. C’est véritablement avec le Sommet de la Terre de Rio en 1992 que la déforestation devient un sujet central des négociations internationales.

Lors de ce sommet, plusieurs instruments juridiques majeurs sont adoptés, notamment la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts. Cette dernière, bien que non contraignante, pose les premiers jalons d’une gouvernance internationale des forêts.

Cette période marque le début d’une approche fragmentée du droit international de la déforestation, caractérisée par une multiplicité d’instruments juridiques abordant la question forestière sous différents angles :

  • Protection de la biodiversité (CDB)
  • Lutte contre les changements climatiques (CCNUCC)
  • Commerce international des espèces menacées (CITES)
  • Protection des zones humides (Convention de Ramsar)

Les années 2000 marquent un tournant avec l’émergence de mécanismes plus spécifiques. En 2007, les négociations climatiques donnent naissance au mécanisme REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts), qui vise à valoriser financièrement le carbone stocké dans les forêts pour inciter les pays en développement à préserver leurs massifs forestiers.

Parallèlement, le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF), créé en 2000, tente de coordonner les efforts internationaux en matière de gestion durable des forêts. En 2007, cet organe adopte l’Instrument juridiquement non contraignant concernant tous les types de forêts, qui définit quatre objectifs mondiaux relatifs aux forêts à atteindre d’ici 2030.

Plus récemment, l’Accord de Paris de 2015 reconnaît explicitement l’importance des forêts dans la lutte contre les changements climatiques et encourage les Parties à prendre des mesures pour conserver et renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre, y compris les forêts.

Cette évolution historique témoigne d’une prise de conscience progressive de l’importance des forêts dans les équilibres environnementaux mondiaux. Toutefois, elle révèle aussi les limites d’une approche fragmentée et souvent non contraignante, qui peine à enrayer efficacement le phénomène de déforestation à l’échelle mondiale.

Les principaux instruments juridiques internationaux face à la déforestation

Le cadre juridique international relatif à la déforestation se caractérise par une mosaïque d’instruments aux portées et aux objectifs variés. Ces outils peuvent être classés en plusieurs catégories selon leur nature et leur force contraignante.

Les conventions internationales à portée environnementale générale

Plusieurs conventions internationales, bien que n’étant pas spécifiquement dédiées aux forêts, comportent des dispositions qui contribuent indirectement à leur protection :

La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 aborde la conservation des écosystèmes forestiers sous l’angle de la préservation de la biodiversité. Son Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation renforce la protection des ressources forestières en reconnaissant les droits des communautés autochtones et locales.

La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et son Protocole de Kyoto reconnaissent le rôle des forêts comme puits de carbone. L’Accord de Paris de 2015 va plus loin en encourageant explicitement les États à prendre des mesures pour conserver et renforcer les puits de carbone forestiers (article 5).

La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) régule le commerce international de nombreuses espèces d’arbres menacées, contribuant ainsi à lutter contre l’exploitation forestière illégale.

Les instruments spécifiques aux forêts

Contrairement à d’autres domaines environnementaux, il n’existe pas de convention internationale juridiquement contraignante spécifiquement dédiée aux forêts. Néanmoins, plusieurs instruments non contraignants ont été développés :

La Déclaration de principes forestiers adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992 constitue le premier consensus mondial sur la gestion durable des forêts.

L’Instrument des Nations Unies sur les forêts (anciennement Instrument juridiquement non contraignant concernant tous les types de forêts), adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007 et renforcé en 2015, définit quatre objectifs mondiaux relatifs aux forêts et encourage les États à élaborer des politiques nationales de gestion durable.

Le mécanisme REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts), développé dans le cadre de la CCNUCC, propose une approche innovante en créant un système d’incitations financières pour la conservation des forêts dans les pays en développement.

Les accords commerciaux et initiatives de gouvernance

Face aux limites des instruments traditionnels du droit international public, de nouveaux mécanismes faisant appel au droit du commerce international et à des initiatives de gouvernance public-privé ont émergé :

Le plan d’action FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) de l’Union européenne vise à lutter contre l’exploitation illégale des forêts à travers des accords de partenariat volontaire avec les pays producteurs de bois.

Le Règlement Bois de l’Union européenne (RBUE) et le Lacey Act américain interdisent la mise sur le marché de bois issu d’une récolte illégale, créant ainsi une obligation de diligence raisonnée pour les importateurs.

Plus récemment, le Règlement européen sur la déforestation, adopté en 2023, interdit l’importation dans l’UE de produits issus de terres déboisées après décembre 2020, quelle que soit la légalité de cette déforestation selon le droit du pays d’origine.

Ces différents instruments juridiques illustrent l’approche multifacette adoptée par la communauté internationale pour lutter contre la déforestation. Toutefois, cette multiplicité d’instruments pose des défis en termes de cohérence et d’efficacité globale du système, en l’absence d’un cadre juridique unifié et véritablement contraignant.

Le rôle des acteurs non étatiques dans la gouvernance forestière internationale

La gouvernance internationale des forêts ne se limite pas aux seuls États et organisations internationales. Un écosystème complexe d’acteurs non étatiques joue un rôle croissant dans l’élaboration et la mise en œuvre des normes relatives à la lutte contre la déforestation.

Les organisations non gouvernementales (ONG)

Les ONG environnementales comme Greenpeace, WWF ou Rainforest Alliance contribuent significativement à la gouvernance forestière internationale à travers plusieurs types d’actions :

  • Participation aux négociations internationales en tant qu’observateurs
  • Élaboration de normes volontaires et de systèmes de certification
  • Surveillance indépendante des engagements des États et des entreprises
  • Sensibilisation du public et plaidoyer pour des politiques plus ambitieuses

Ces organisations ont notamment contribué à l’émergence de la certification forestière comme outil de gouvernance. Le Forest Stewardship Council (FSC), créé en 1993 à l’initiative d’ONG environnementales, d’entreprises et de représentants des peuples autochtones, a développé un système de certification qui s’est imposé comme une référence mondiale pour la gestion durable des forêts.

Les peuples autochtones et communautés locales

Longtemps marginalisés dans les processus décisionnels internationaux, les peuples autochtones et les communautés locales voient leur rôle de plus en plus reconnu dans la gouvernance forestière. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 affirme leur droit à posséder et contrôler leurs territoires traditionnels, incluant souvent des zones forestières.

Les mécanismes REDD+ intègrent désormais des garanties sociales et environnementales qui reconnaissent l’importance des savoirs traditionnels et des droits des communautés locales. Le Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale requiert par exemple une consultation effective des peuples autochtones dans les projets qu’il finance.

Cette reconnaissance croissante s’appuie sur des études démontrant que les forêts gérées par les communautés autochtones présentent souvent des taux de déforestation inférieurs à ceux des aires protégées conventionnelles, témoignant de l’efficacité des systèmes traditionnels de gestion forestière.

Le secteur privé et les initiatives volontaires

Face aux pressions des consommateurs et de la société civile, le secteur privé développe des engagements volontaires qui complètent le cadre réglementaire international :

Les engagements « zéro déforestation » pris par de grandes entreprises agroalimentaires comme Nestlé, Unilever ou Mars visent à éliminer la déforestation de leurs chaînes d’approvisionnement.

Des initiatives sectorielles comme la Table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO) ou le Conseil brésilien de gestion forestière (CERFLOR) établissent des normes volontaires pour les produits à haut risque de déforestation.

Des coalitions multi-acteurs comme la Tropical Forest Alliance ou le Consumer Goods Forum réunissent entreprises, gouvernements et ONG pour coordonner les efforts de lutte contre la déforestation.

Ces initiatives volontaires présentent l’avantage de pouvoir être mises en œuvre plus rapidement que les accords internationaux traditionnels. Elles peuvent servir de laboratoires d’expérimentation pour des approches innovantes et contribuer à élever progressivement les standards de l’industrie.

Toutefois, leur caractère volontaire et l’absence de mécanismes de sanction en cas de non-respect limitent leur efficacité. Des études récentes montrent que de nombreuses entreprises ne respectent pas leurs engagements « zéro déforestation » dans les délais annoncés. Cette situation a conduit à l’émergence d’initiatives de surveillance indépendante, comme le Forest 500 qui évalue et classe les politiques des plus grandes entreprises et institutions financières ayant un impact sur les forêts.

L’interaction entre ces différents acteurs non étatiques et le cadre juridique international formel crée un système de gouvernance polycentrique qui, malgré ses limites, contribue à combler certaines lacunes du droit international conventionnel.

Les défis de mise en œuvre et d’effectivité du droit international

Malgré l’existence d’un cadre juridique international relativement étoffé, la déforestation continue à un rythme alarmant dans de nombreuses régions du monde. Cette situation met en lumière les défis considérables liés à la mise en œuvre effective des normes internationales relatives aux forêts.

La fragmentation du cadre juridique international

L’un des principaux obstacles à l’efficacité du droit international de la déforestation réside dans sa fragmentation. La multiplicité des instruments juridiques abordant la question forestière sous différents angles (biodiversité, climat, commerce, droits humains) conduit à un manque de cohérence globale.

Cette fragmentation se manifeste à plusieurs niveaux :

  • Dispersion des normes entre différentes conventions et instruments
  • Chevauchement des mandats entre organisations internationales
  • Coordination insuffisante entre les différents régimes juridiques
  • Absence d’une définition universellement acceptée de la « forêt » et de la « déforestation »

Le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) a été créé en partie pour remédier à cette fragmentation, mais son impact reste limité en raison de son caractère non contraignant et de ses moyens d’action restreints.

Les limites de la soft law forestière

Contrairement à d’autres domaines environnementaux comme le climat ou la biodiversité, le droit international des forêts repose principalement sur des instruments de soft law (droit souple) non juridiquement contraignants. Cette situation résulte de la réticence de nombreux États forestiers à accepter des contraintes internationales sur ce qu’ils considèrent comme relevant de leur souveraineté nationale.

Les tentatives d’élaboration d’une convention mondiale sur les forêts ont systématiquement échoué, notamment lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992 et lors des sessions du FNUF. Cette prédominance de la soft law limite les possibilités de sanctions en cas de non-respect des engagements et affaiblit l’effectivité globale du système.

Néanmoins, ces instruments non contraignants peuvent jouer un rôle significatif en influençant progressivement les législations nationales et en établissant des normes qui acquièrent une légitimité croissante avec le temps. Le mécanisme REDD+, bien que non contraignant, a ainsi inspiré des réformes législatives dans plusieurs pays tropicaux.

Les défis de mise en œuvre au niveau national

La mise en œuvre effective du droit international de la déforestation dépend largement de son intégration dans les systèmes juridiques nationaux et de l’application concrète sur le terrain. Or, de nombreux obstacles persistent à ce niveau :

La faiblesse des institutions forestières dans de nombreux pays en développement limite leur capacité à élaborer et appliquer des politiques forestières efficaces. Le manque de ressources humaines, techniques et financières entrave la surveillance des forêts et l’application des lois.

La corruption et la mauvaise gouvernance facilitent l’exploitation illégale des forêts et l’accaparement des terres. Dans certains pays, les revenus tirés de l’exploitation forestière illégale représentent une part significative de l’économie, créant de puissants intérêts opposés à une réglementation plus stricte.

Les conflits entre différentes législations sectorielles (forestière, agricole, minière, foncière) créent souvent des incohérences qui favorisent la déforestation. Par exemple, les politiques agricoles encourageant l’expansion des cultures commerciales peuvent contredire les objectifs de conservation forestière.

Face à ces défis, des initiatives internationales comme le Programme ONU-REDD ou le FLEGT de l’Union européenne visent spécifiquement à renforcer les capacités institutionnelles des pays forestiers et à améliorer la gouvernance forestière.

L’enjeu du financement

La mise en œuvre des politiques de lutte contre la déforestation nécessite des ressources financières considérables, notamment dans les pays en développement. Or, malgré les engagements pris lors de diverses conférences internationales, le financement reste insuffisant et souvent mal coordonné.

Le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l’environnement mondial et divers fonds bilatéraux contribuent au financement de projets forestiers, mais les montants mobilisés restent bien en-deçà des besoins estimés pour réduire significativement la déforestation mondiale.

De plus, la complexité des procédures d’accès à ces financements et les exigences en matière de rapportage créent des obstacles supplémentaires pour de nombreux pays forestiers. La question de l’additionnalité et de la permanence des réductions d’émissions liées aux projets forestiers pose également des défis méthodologiques considérables.

Ces différents obstacles à la mise en œuvre effective du droit international de la déforestation expliquent en grande partie le décalage observé entre l’évolution normative et la persistance du phénomène de déforestation à l’échelle mondiale.

Vers un renforcement du cadre juridique international : innovations et perspectives

Face aux limites du cadre juridique actuel, diverses innovations juridiques et approches novatrices émergent pour renforcer l’efficacité du droit international dans la lutte contre la déforestation.

L’approche par les chaînes d’approvisionnement

Une tendance majeure dans l’évolution récente du droit international de la déforestation consiste à cibler les chaînes d’approvisionnement des produits à risque pour les forêts. Cette approche, développée initialement dans le cadre du plan d’action FLEGT de l’Union européenne pour lutter contre le bois illégal, s’étend désormais à d’autres commodités.

Le Règlement européen sur la déforestation (EUDR), adopté en 2023, marque une avancée significative en interdisant la mise sur le marché européen de produits comme le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois, le caoutchouc et le bétail lorsqu’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020. Cette réglementation impose aux entreprises un devoir de diligence raisonnée pour garantir que leurs produits ne contribuent pas à la déforestation, quelle que soit sa légalité dans le pays d’origine.

Cette approche par les marchés de consommation présente plusieurs avantages :

  • Elle contourne partiellement les obstacles liés à la souveraineté nationale
  • Elle mobilise le secteur privé comme levier de changement
  • Elle crée des incitations économiques directes pour les producteurs

D’autres juridictions comme le Royaume-Uni et les États-Unis développent des législations similaires, créant progressivement un effet d’entraînement mondial. Toutefois, ces mesures soulèvent des questions de compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et nécessitent des mécanismes robustes de vérification et de traçabilité.

L’intégration des nouvelles technologies

Les avancées technologiques offrent des opportunités sans précédent pour améliorer l’application du droit international de la déforestation :

La télédétection satellitaire permet désormais une surveillance quasi-continue des forêts mondiales. Des initiatives comme Global Forest Watch ou le système DETER au Brésil fournissent des alertes de déforestation en temps quasi-réel, facilitant l’intervention rapide des autorités.

Les technologies de chaîne de blocs (blockchain) sont expérimentées pour améliorer la traçabilité des produits forestiers et garantir l’intégrité des systèmes de certification. Des projets pilotes au Ghana et en Indonésie utilisent cette technologie pour sécuriser les données relatives aux permis d’exploitation forestière et aux chaînes de custody.

L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique permettent d’analyser de vastes ensembles de données pour détecter les motifs de déforestation et prédire les zones à risque. Ces outils aident à cibler plus efficacement les efforts de contrôle et de prévention.

Ces innovations technologiques transforment progressivement la gouvernance forestière en renforçant la transparence et la responsabilité des acteurs. Elles contribuent à réduire l’écart entre les engagements internationaux et leur mise en œuvre effective sur le terrain.

L’émergence du contentieux climatique lié aux forêts

Une évolution notable du paysage juridique international réside dans l’émergence de contentieux relatifs à la déforestation, tant au niveau national qu’international :

Des actions en justice contre les États pour manquement à leurs obligations de protection des forêts se multiplient. Au Brésil, la Cour suprême a été saisie de plusieurs recours concernant l’affaiblissement des politiques de protection de l’Amazonie. Aux Pays-Bas, l’affaire Urgenda a créé un précédent en établissant l’obligation de l’État de protéger ses citoyens contre les changements climatiques, avec des implications potentielles pour les politiques forestières.

Le contentieux contre les entreprises se développe également. En France, la loi sur le devoir de vigilance permet désormais d’engager la responsabilité des entreprises pour les dommages environnementaux causés par leurs filiales ou sous-traitants à l’étranger, y compris en matière de déforestation.

Au niveau international, la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont développé une jurisprudence significative liant la protection des forêts aux droits des peuples autochtones et au droit à un environnement sain.

Cette judiciarisation croissante de la lutte contre la déforestation contribue à renforcer l’effectivité du droit international en créant des mécanismes de contrôle et de sanction complémentaires aux processus diplomatiques traditionnels.

Vers une approche intégrée des objectifs de développement durable

L’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) par les Nations Unies en 2015 a fourni un cadre global permettant d’intégrer les préoccupations forestières dans une vision plus large du développement durable. L’ODD 15, qui vise à « préserver et restaurer les écosystèmes terrestres », inclut spécifiquement la cible 15.2 sur la gestion durable des forêts et la lutte contre la déforestation.

Cette approche intégrée reconnaît les interconnexions entre la protection des forêts et d’autres objectifs de développement comme la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’accès à l’énergie propre ou la lutte contre les changements climatiques. Elle encourage les synergies entre différentes politiques sectorielles et facilite la mobilisation de ressources pour des projets à bénéfices multiples.

La mise en œuvre de cette vision intégrée se manifeste notamment à travers des initiatives comme les Solutions fondées sur la nature (SfN), qui valorisent le rôle des écosystèmes forestiers dans l’adaptation aux changements climatiques et la réduction des risques de catastrophes naturelles.

Ces différentes innovations juridiques, technologiques et conceptuelles dessinent les contours d’un cadre juridique international en mutation, plus adapté aux défis complexes posés par la déforestation mondiale. Leur efficacité dépendra toutefois de leur capacité à surmonter les obstacles structurels identifiés précédemment et à mobiliser une volonté politique suffisante à tous les niveaux.

Repenser la gouvernance mondiale des forêts pour un avenir durable

L’analyse du cadre juridique international de la déforestation révèle à la fois des avancées significatives et des lacunes persistantes. Pour relever efficacement le défi de la protection des forêts mondiales, une refonte profonde de la gouvernance forestière internationale semble nécessaire.

Vers une convention-cadre mondiale sur les forêts?

Le débat sur l’opportunité d’une convention internationale juridiquement contraignante spécifiquement dédiée aux forêts reste d’actualité. Les partisans d’une telle approche soulignent qu’une convention-cadre permettrait de :

  • Unifier le cadre juridique actuellement fragmenté
  • Établir des obligations claires pour les États
  • Créer des mécanismes institutionnels dédiés
  • Faciliter la mobilisation de ressources financières

Toutefois, les opposants à cette approche font valoir que les négociations d’un nouvel instrument contraignant risqueraient d’être longues et difficiles, sans garantie de résultat ambitieux. Ils suggèrent plutôt de renforcer les instruments existants et d’améliorer leur coordination.

Une voie médiane pourrait consister à adopter une approche progressive, en commençant par renforcer le caractère contraignant de l’Instrument des Nations Unies sur les forêts existant, tout en développant des protocoles spécifiques sur des questions prioritaires comme le commerce des produits forestiers ou les droits des communautés forestières.

Renforcer les mécanismes de financement

Le financement adéquat de la conservation et de la gestion durable des forêts reste un défi majeur. Plusieurs pistes innovantes émergent pour mobiliser des ressources à la hauteur des enjeux :

Les mécanismes de paiement pour services environnementaux (PSE) à l’échelle internationale, qui valorisent les services écosystémiques fournis par les forêts (stockage de carbone, régulation hydrologique, conservation de la biodiversité), constituent une approche prometteuse. Le Fonds vert pour le climat et le Fonds pour l’environnement mondial intègrent progressivement cette logique dans leurs programmes forestiers.

La finance verte et les obligations forestières offrent de nouvelles possibilités pour mobiliser des capitaux privés. Des pays comme l’Indonésie ont émis des « obligations vertes » dont une partie des fonds est destinée à des projets de gestion durable des forêts.

La réorientation des subventions et incitations fiscales nuisibles aux forêts représente un potentiel considérable. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les subventions à l’agriculture qui contribuent à la déforestation s’élèvent à plusieurs centaines de milliards de dollars par an.

Ces mécanismes financiers innovants doivent s’accompagner d’une amélioration de la gouvernance financière, avec des systèmes robustes de suivi, de rapportage et de vérification pour garantir l’utilisation efficace des fonds.

Renforcer les droits des peuples autochtones et des communautés locales

L’expérience montre que la reconnaissance et le respect des droits des peuples autochtones et des communautés locales constituent un facteur clé de succès des politiques de conservation forestière. Plusieurs mesures peuvent renforcer cette dimension :

La sécurisation des droits fonciers des communautés forestières, à travers des réformes légales reconnaissant les systèmes coutumiers de tenure et établissant des procédures claires de démarcation et d’enregistrement des territoires traditionnels.

Le renforcement du consentement libre, informé et préalable (CLIP) comme principe fondamental pour tout projet ou politique affectant les territoires forestiers traditionnels. Ce principe, reconnu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, doit être intégré dans les législations nationales et les procédures des institutions financières internationales.

La valorisation des savoirs traditionnels dans la gestion forestière, en reconnaissant leur contribution à la conservation de la biodiversité et en développant des mécanismes équitables de partage des avantages conformément au Protocole de Nagoya.

Ces mesures contribueraient non seulement à la justice sociale mais aussi à l’efficacité des politiques de conservation, comme le démontrent les études comparant les taux de déforestation dans les territoires autochtones à ceux d’autres catégories d’aires protégées.

Vers une approche juridique transformative

Au-delà des ajustements incrémentaux du cadre juridique existant, des approches plus transformatives émergent dans le débat international :

La reconnaissance de droits à la nature constitue une innovation juridique adoptée dans plusieurs juridictions comme l’Équateur, la Bolivie ou la Nouvelle-Zélande. Cette approche, qui considère les écosystèmes forestiers comme des sujets de droit plutôt que comme de simples objets de régulation, pourrait transformer fondamentalement la relation juridique entre les humains et les forêts.

L’établissement d’un crime d’écocide dans le droit pénal international permettrait de sanctionner les destructions massives d’écosystèmes forestiers. Des discussions sont en cours pour intégrer ce crime au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

La promotion d’une économie circulaire du bois, à travers des normes internationales encourageant la réutilisation, le recyclage et la valorisation des produits forestiers en fin de vie, contribuerait à réduire la pression sur les forêts primaires.

Ces approches novatrices, bien que confrontées à des résistances, ouvrent des perspectives prometteuses pour repenser fondamentalement la gouvernance mondiale des forêts et répondre plus efficacement au défi de la déforestation.

La protection des forêts mondiales constitue un défi majeur qui exige une transformation profonde de notre rapport à la nature et des systèmes juridiques qui l’encadrent. Le droit international, malgré ses limites actuelles, reste un outil indispensable pour orchestrer cette transformation à l’échelle planétaire. Son évolution vers des formes plus intégrées, participatives et contraignantes conditionne largement notre capacité collective à préserver ce patrimoine vital pour les générations futures.